Membre du Comité de rédaction de la revue Alternatives Humanitaires
Co-éditrice du n°8 (Juillet 2018) consacré au thème
« L’essor des nouvelles technologies: utilité, mésusages et sens »
Le recours à l’innovation a toujours été au cœur des préoccupations des acteurs de l’aide humanitaire, soucieux d’optimiser leur action. Quelques exemples historiques l’attestent, comme la création de la prothèse en bambou par Handicap International, le développement du Plumpy’ Nut par Nutriset en collaboration avec Action contre la Faim ou les Bladders développés par Oxfam pour l’alimentation d’urgence en eau. Depuis une dizaine d’années, les nouvelles technologies font une entrée en force dans le champ humanitaire, avec par exemple l’usage des NTIC dans la prise en charge médicale ou la gestion de crises, l’utilisation des drones, de l’imagerie satellite et des méga-données pour cartographier les zones vulnérables ou anticiper les prochains foyers d’épidémie, ou le développement de nouvelles manières de récolter de l’argent via les réseaux sociaux. Si les nouvelles technologies apportent une plus-value significative à l’action humanitaire, leurs usages laissent aussi présager de nouveaux enjeux et des risques non négligeables.
Certains usages des nouvelles technologies posent des questions cruciales sur le respect de l’impératif humanitaire de « ne pas nuire » (do no harm), notamment en ce qui concerne la protection des données et des personnes. Au-delà des questions éthiques, le secteur de l’humanitaire représente un potentiel de développement économique considérable pour une industrie technologique en recherche de partenaires de marque afin de soigner son image. Il est donc essentiel de se pencher sur un modèle économique qui puisse garantir l’accès aux nouvelles technologies pour les plus vulnérables et préserver l’indépendance d’action et de décision des acteurs humanitaires par rapport au secteur privé. L’accélération prodigieuse de la transformation numérique à laquelle nous assistons constitue à la fois une formidable opportunité et un puissant facteur de déstabilisation. L’introduction de nouvelles approches peut avoir des conséquences non attendues qu’ils convient de bien prendre en compte dans une politique d’innovation. Enfin, la culture du risque et l’acceptation d’un échec potentiel sont des moteurs forts du secteur de l’innovation qui s’accommodent mal avec les contextes humanitaires où les conséquences d’un mauvais choix peuvent être désastreuses.
L’objectif de ce numéro sur les nouvelles technologies est de prendre le recul nécessaire pour réfléchir à la notion d’innovation et de progrès, deux concepts qui sont souvent utilisés de manière interchangeable. Pourtant, nos usages de l’innovation – et par conséquent des nouvelles technologies – prolongent-ils l’idée de progrès ou s’en détournent-ils ? Qu’est-ce qui, dans l’innovation actuelle, peut être gage de progrès dans les interventions humanitaires ? D’un point de vue organisationnel, quels sont les effets directs ou indirects de l’utilisation des nouvelles technologies pour les acteurs de la solidarité internationale ? Ces questionnements paraissent d’autant plus importants que le discours sur l’innovation semble se focaliser sur les résultats et les produits issus de la démarche en s’abstenant d’une réflexion sur le sens et les moteurs de la dynamique.